Peintre et graveur, OChico, qui signe aussi OChico-Blik, est un artiste de la matière et des matériaux, habité par le temps : ses allers et retours entre passé et présent mêlent dans une œuvre profuse les émotions d’hier et d’aujourd’hui.
La signature annonce la double culture : OChico signifie le petit Francisco en portugais. « A égalité, je suis 100 % portugais et 100 % français » assure l’intéressé. Né en France en janvier 1968, d’abord élevé au Portugal, il revient en France à partir de ses six ans. Le père avait fui, sans doute pour éviter l’enrôlement pour le conflit en Angola, et avait émigré ; la mère n’avait d’abord pas supporté l’éloignement du pays et était retournée au pays avec le bébé, vers les couleurs du sud, avant de revenir vivre en France avec son mari. La guerre coloniale et la révolution des œillets de 1974 se sont inscrites dans la mémoire inconsciente du petit garçon. La première incluant le silence, et sans doute le traumatisme, de ceux qui en sont revenus. La deuxième parce qu’elle était enfin un signal de liberté et qu’elle permettait aux exilés de retourner au pays sans risquer d’être arrêtés pour désertion.
Le grand-père paternel était un paysan qui avait appris seul à lire et écrire. Utilisant des bouts de bois de récupération, il aimait créer et fabriquer, entre autres, des jouets. OChico a continué à s’intéresser aux objets, même quotidiens, pour les intégrer dans certaines de ses compositions, les détourner, réfléchir à leur identité et à leur sublimation, leur accoler des doubles déformés ou des reflets, leur suggérer une nouvelle vie. Ainsi des tableaux récents supportent-ils des caisses de bois blanc, autrefois banales, qui prennent subitement une importance – et une beauté singulière. Des bandelettes de papier ordinaire liées en une gerbe tracent une longue virgule qui surgit du cadre et balaie un fond noir. « J’avais l’intuition que je devais conserver ces caisses et ces bandes de papier. »
OChico travaille fréquemment au chiffon, qu’il peut recycler et introduire dans les tableaux. Il utilise la terre, parfois mélangée à de la peinture glycéro, laquelle va se dilater, sécher, parfois pendant plusieurs semaines. Il la reprend à l’huile, la fait se déplacer et l’oriente sur la toile avant de laisser sécher l’ensemble. Lui-même circule autour de cette matrice qu’il a préparée et qu’il a étalée par terre, observe les séchages, se rend maître de la matière, des profondeurs qu’elle suggère, derrière des lignes blanches horizontales qui flottent à la surface.C’est à l’empreinte du temps qu’OChico attribue une place prépondérante. Jadis il pensait que chaque lendemain serait le dernier et que la mort serait imminente. Aujourd’hui, la fin lui semble s’éloigner et le passé est source de nouvelle vie : « Un tableau ne s’achève jamais, c’est sa magie, il continue à exister. » L’artiste explique intégrer ses œuvres plus anciennes dans son travail ultérieur : « J’ai peint ma série de tableaux noirs sur plus de dix ans et pas en continu, en apprivoisant le temps comme un allié. »
Le dialogue s’établit parfois avec la littérature. « Mes monochromes à l’huile sur Ulysse et l’Odyssée est l’histoire de la vie, une philosophie du retour à l’origine : on revient toujours au point de départ, même s’il a changé » : jeux d’ombres et de miroirs déformants.
La peinture d’OChico ne se dissocie pas de la permanence de la lumière. L’artiste aime, par-dessus tout, celle des Nymphéas de Monet et les clairs-obscurs de Rembrandt. Ses propres noirs, profonds, appellent à l’au-delà du tableau : « C’est une couleur qui absorbe, qui nous emporte aussi à l’intérieur de nous-mêmes ». L’ensoleillement de ses bleus – bleu portugais, azur, celui des bandes peintes sur les façades blanches des maisons – trace la mémoire de son enfance. Le bleu est aussi la couleur de ses gravures.
Une production d’OChico ne résulte pas d’une juxtaposition d’exercices anciens ; elle correspond à une longue et lente maturation, pour une part invisible. « Les tableaux auxquels je tiens le plus correspondent à certaines périodes de ma vie. A moins qu’une évidence ne s’impose, je les avais en moi depuis longtemps ».
L’artiste joue d’un synchronisme d’émotions passées et se lance une série de défis, si bien qu’une œuvre n’est pas une tentative, c’est déjà un aboutissement ; au moins provisoirement, car elle suggère un nouveau départ. Michèle Chouchan